Le passage de l'enfance vers l'âge adulte dans Alice au pays des merveilles, Le Magicien d'Oz et Peter Pan de Lewis Carroll, L. Frank Baum et James M. Barrie



Le monde de l’enfance est éternellement un endroit nostalgique une fois à l’âge adulte. Il s’agit de l’époque où la naïveté et l’innocence sont d’avantages présents par l’intermédiaire de l’imaginaire. Toutefois, il s’agit d’une période de courte durée où l’enfant se voit contraint à affronter des décisions et ses responsabilités, ce qui le guidera au passage vers l’âge adulte, c’est-à-dire l’adolescence. Dans la littérature jeunesse, certaines œuvres sont utilisées afin de montrer aux enfants comment surmonter les obstacles jusqu’à devenir adulte.[1] Ainsi, en s’adressant à l’enfant lecteur, le livre lui propose deux choix; celui de rester enfant avec l’interdiction de devenir adulte et celui de devenir adulte avec l’interdiction de rester enfant, d’où la présence de la double contrainte[2]. Toutefois, la littérature jeunesse, elle, est développée à partir du stade de l’enfance jusqu’à celui d’adulte responsable, ce qui peut aider l’enfant à traverser ce passage difficile.[3] C’est au travers de trois œuvres que trois enfants se cachent dans un pays imaginaire avec comme seul désir, celui de fuir le passage qui les mènerait vers l’âge adulte.

          Parmi cette analyse, le passage de l’enfance vers l’âge adulte est représenté à travers les trois œuvres suivantes : Alice au pays des merveilles, Le Magicien d’Oz et Peter Pan, deux romans et une œuvre cinématographique, qui se déroulent dans deux époques différentes, l’époque victorienne ainsi que le 20e siècle.

Alice au pays des merveilles est l’œuvre la plus populaire de Lewis Carroll. Elle a été rédigée et corrigée de nombreuses fois, mais sa date officielle d’apparition est 1865, pendant le règne de Victoria en Angleterre. L’histoire se déroule autour d’un rêve où la protagoniste, Alice, une fillette de sept ans, subit des changements physiques, en grandissant ou en rapetissant. Elle se voit entourée d’animaux parlants et de personnages tout à fait absurdes dans le pays des merveilles qui, d’ailleurs, est très bien illustré par les dessins de John Tenniel. Lewis Carroll, de son vrai nom Charles Lutwidge Dodgson, est reconnu pour cette œuvre qui invite l’enfant à prendre conscience du piège que constitue le champignon magique; celui de grandir et devenir adulte ou celui de rapetisser et rester à jamais un enfant. Carroll est également connu pour la suite de cette œuvre, Ce qu’Alice trouva de l’autre côté du miroir, rédigée en 1871, et La Chasse au Snark publiée en 1876. 

La deuxième œuvre étudiée est l’œuvre cinématographique de Victor Fleming Le Magicien d’Oz « The Wizard of Oz » apparu en 1939 aux États-Unis, adaptation du roman de L. Frank Baum. Le Magicien d’Oz est l’une des œuvres cultes des Américains. L’œuvre musicale met en scène une jeune fille nommée Dorothée qui, emportée par une tornade, parcourt le monde d’Oz avec l’aide de ses amis l’épouvantail, le bûcheron en fer-blanc et le lion poltron afin de retourner chez elle. C’est par le chemin de briques jaunes que le film suggère le thème de l’adolescence à partir d’un monde enfantin sans complication. Victor Fleming connait un immense succès avec cette œuvre cinématographique, mais également avec ses œuvres Autant en apporte le vent, parue en 1939, qui gagne un Oscar en 1940, Docteur Jekyll et mister Hyde en 1941 et Jeanne D’Arc en 1948.

Le roman Peter Pan de James M. Barrie est la dernière œuvre présentée pour cette analyse. Après plusieurs apparitions dans plusieurs nouvelles, le personnage de Peter Pan est apparu dans un roman en 1911 au Royaume-Uni. L’histoire raconte l’aventure de Peter Pan, un enfant bien étrange, vêtu de feuilles, à la recherche d’une mère. Lorsqu’il rencontre Wendy, la fille de M. et Mme Darling, propriétaires de la maison où Peter fait intrusion, il la supplie de le suivre jusqu’au pays de l’imaginaire où elle pourrait raconter des histoires à tous les enfants perdus. Barrie transpose à travers le personnage de Peter l’envie de rester à tout jamais un enfant afin de fuir le passage vers l’âge adulte qui exige de prendre des responsabilités. James M. Barrie, célèbre pour son personnage de Peter Pan, est également reconnu pour ses œuvres The Little White Bird, écrite en 1902, et L’Admirable Crichton, également rédigée en 1902. 

Parmi ces œuvres étudiées, le passage de l’enfance vers l’âge adulte est illustré dans un monde imaginé par les protagonistes où cette analyse démontera sous la représentation de l’adulte, la représentation de l’enfance et le passage de l’enfance à l’âge adulte sous les aspects des lieux imaginaires, des changements physiques et psychologiques des personnages principaux à travers l’étude de la narration du thème de l’adolescence.

Le chat du-conté-du-Cheshire par John Tenniel

La représentation de l’enfance, la représentation de l’adulte et la transition de l’enfance à l’âge adulte. 

À partir des trois œuvres étudiées, le thème principal est celui de l’enfance. Dans chacune des œuvres, le protagoniste est un enfant. À l’époque médiévale, il n’y a pas de place pour l’enfance.[4] On considère les enfants comme de jeunes adultes déjà prêts aux combats. Ainsi, dans la littérature, le personnage principal était toujours un adulte. C’est uniquement à partir du treizième siècle que la conception de l’enfance prend de l’importance. Lors de l’époque victorienne, l’image de l’enfance est privilégiée et représente une étape importante dans la vie, et ce, particulièrement dans Alice au pays des merveilles.[5] On appréciait davantage les personnages de jeunes filles sages et pleines de charme, qu’on croyait alors innocentes, que les personnages de jeunes garçons puisque le puritanisme était encore marqué chez les auteurs victoriens.[6] Cependant, lorsque le roi Édouard VII succède à sa mère, la reine Victoria, on porte une attention particulière aux jeunes garçons qui s’amusent bien.[7] C’est à partir de l’œuvre de Lewis que les gens remarquent pour la première fois un protagoniste-enfant dans un livre adressé aux enfants. Ainsi, ceux-ci se sentent interpellés par les personnages de l’œuvre, ce qui les incite à grandir.[8]

Toutefois, dans les trois œuvres, les personnages principaux sont plutôt des adolescents, car le passage entre l’enfance et l’âge adulte, c’est-à-dire l’adolescence, s’installe chez les protagonistes qui agissent et réfléchissent comme des adultes. Ainsi, nous avons des enfants qui pensent comme des adultes, ce qui peut être représenté par l’adolescence. Donc, c’est suite au passage de l’enfance vers l’âge adulte que la conception du monde imaginaire est créée puisque c’est pendant l’adolescence que les idées neuves, radicales et divergentes de celles des adultes marquent profondément l’imagination.[9] L’enfant, effrayé à l’idée de devenir adulte, désire s’enfuir du monde réel pour s’aventurer dans un monde imaginaire, dans ce cas-ci le pays des merveilles pour Alice, le pays d’Oz pour Dorothée et le pays de l’imaginaire, également appelé le monde de nulle part, pour Peter Pan, commun aux protagonistes.

La quête du champignon dans Alice au pays des merveilles
Le pays des merveilles
Lewis Carroll
Dans Alice au pays des merveilles, le monde des merveilles est un endroit très dépaysant pour Alice. Dès son arrivée, elle est prise d’une crise identitaire ainsi que de nombreux changements physiques, ce qui déstabilise son raisonnement. Lorsqu’elle rencontre la chenille, Alice lui explique que, depuis sa venue dans ce monde, elle ne parvient plus à se reconnaître. Ainsi, elles discutent à propos de l’identité de la protagoniste, de son âge et de sa taille, ce qui trouble particulièrement Alice. Selon elle, Alice aimerait être plus grande, toutefois elle souhaite fuir les responsabilités que les adultes obtiennent en grandissant alors qu’elle n’apprécie pas l’autorité de ceux-ci. Elle aimerait garder sa taille et rester une enfant. Seulement, la chenille lui laisse deux choix; ou bien Alice mange un côté du champignon magique et accepte le passage vers l’âge adulte, soit elle mange l’autre côté du champignon et reste à tout jamais une enfant. Une fois que la chenille s’est volatilisée, Alice grignote le côté du champignon qui la fait grandir. Paniquée, elle essaye de corriger son erreur en mangeant les deux côtés du champignon à la fois : « […], alors elle se mit prudemment à la besogne, grignotant tantôt l’un, tantôt l’autre, parfois devenant plus grande, parfois devenant plus petite, jusqu’à ce qu’elle eût réussir à retrouver sa taille normale. »[10] C’est en retrouvant sa taille normale qu’Alice commence à se reconnaître en tant que petite fille, ce qui la rend heureuse. Il y a aussi les effets magiques des petits gâteaux qui font grandir Alice et la potion qui la fait rapetisser. Ces deux éléments proposent à Alice de faire un choix selon ses besoins, par exemple, lorsqu’elle aperçoit, derrière un rideau, une petite porte ainsi qu’une clef sur une petite table, elle n’hésite pas à boire la potion pour se rendre plus petite afin de se rendre de l’autre côté de la porte, c’est-à-dire au pays des merveilles.

Le manque de logique et de règlements

L'heure du thé chez le Lièvre de Mars par John Tenniel
La protagoniste est forcée à ces changements physiques dans un monde qu’elle considère cauchemardesque par son manque de logique où l’absurde est illustré par divers personnages comme la reine de cœur ou le chapelier. L’absurde est au rendez-vous lorsqu’Alice visite la maison du Lièvre de Mars. Sous un arbre, une longue table est servie où le Lièvre de Mars, le Chapelier et le Loir prennent le thé. Lorsque ceux-ci aperçoivent Alice qui arrive, ils s’écrient qu’il n’y a pas de place pour elle puisque toutes les places sont occupées, alors qu’elles sont vides. Ils lui proposent du vin, mais il n’y en a pas sur la table, ils conversent ensemble alors que cela ne suit aucun sens, ce qui rejoint la phase de la confusion auquel les enfants comprennent les mots comme ils leur sont annoncés. Pour Alice, il n’y a pas de deuxième sens et elle prend tout au premier degré. Il y a aussi la phase réglementaire et de la logique qui est essentielle et sécurisante pour Alice puisque les règles lui permettent une stabilité pour un bon fonctionnement. Lorsqu’elle arrive au royaume de cœur, celui du roi et de la reine de cœur, Alice est déstabilisée et troublée lors d’une partie de croquet. Tout d’abord, les boules sont des hérissons vivants et les maillets sont des flamants roses également vivants. Ensuite, les joueurs jouent tous en même temps et sans attendre leur tour. Enfin, si quelqu’un a le malheur de se quereller avec la reine, celle-ci ordonne qu’on lui coupe la tête. Ainsi, Alice trouve qu’il n’y a aucune logique au jeu de la reine puisqu’il n’y a pas de perdants ou pas de gagnant, ce qui est très choquant pour la protagoniste.

Une adulte au cœur d’enfant


Le lapin blanc par John Tenniel
     Il est possible de penser qu’Alice serait davantage une adolescente qu’une enfant puisque, victime de son sentiment d’insécurité, elle parcourt le monde des merveilles à la recherche de son identité qu’elle croit perdue. Cependant, Lewis Carroll précise que malgré les différents changements physiques d’Alice, elle demeure une enfant.[11] Lorsqu’Alice se réveille et qu’elle raconte son rêve à sa grande sœur Lorina, celle-ci ajoute qu’Alice gardera toujours un cœur d’enfant par de voyage au pays des merveilles. Également, lors de sa terrible chute dans le terrier du lapin blanc, Alice prend le temps de regarder autour d’elle et de réviser ses leçons apprises en classe. Ainsi, elle se questionne sur la profondeur de la terre : « Je me demande si je vais traverser la terre d’un bout à l’autre! Ça serait rudement drôle d’arriver au milieu de ces gens qui marchent la tête en bas! On les appelle les Antipattes, je crois… »[12] Alice fait une comparaison entre ce qu’elle appelle « les Antipattes » et les Chinois. Si celle-ci fait cette référence, c’est qu’elle se croit beaucoup plus intelligente que quiconque et n’hésite pas à partager son savoir même si elle n’est pas certaine de ses propos. Il s’agit d’un des stades du développement de l’enfance, celui de la phase intelligente et du savoir.

Finalement, Lewis Carroll n’encourage pas les enfants uniquement à grandir ou à rapetisser, mais à prendre conscience du piège que constituent les deux côtés du champignon, c’est-à-dire du choix entre rester enfant ou devenir adulte, à travers le personnage d’Alice.[13]
 
Au-delà de l’arc-en-ciel dans Le Magicien d’Oz

Le pays d’Oz


L’adaptation cinématographique Le Magicien d’Oz de Flemming propose également une peur identitaire que traverse le personnage de Dorothée dans le monde d’Oz. Toutefois, le pays d’Oz est attrayant et coloré comparé au Kansas du film qui est monotone et sans vie. Le monde d'Oz est une projection de l’imagination de Dorothée; orpheline et sans parents, Dorothée cherche dans le monde merveilleux des compensations qu’elle n’a pas dans le monde réel, autrement dit de l’amour, de beaux alentours colorés et des amis. Par contre, elle est confrontée à des images angoissantes et à l’interrogation de son identité.[14] Une fois arrivée dans le monde d’Oz, elle souhaite immédiatement retourner chez elle, au Kansas, auprès des gens qu’elle aime, c’est-à-dire sa tante Em, son oncle Henry ainsi que les travailleurs de la ferme puisqu’elle s’y sent inquiète. Empruntant le chemin de briques jaunes, Dorothée traverse le pays d'Oz, accompagnée de son chien Toto, tout en se demandant vers où elle se dirige exactement, mais également qui elle est et ce qu’elle fuit.[15] Ce voyage permet à Dorothée de prendre conscience sur elle-même ainsi que de son fort désir à revenir chez elle, au Kansas.

La morale dans Le Magicien d’Oz

Victor Fleming
  Dorothée n’est pas contrainte par des changements physiques, mais plutôt par des changements psychologiques, car Fleming intègre des remises en question parmi les personnages que Dorothée rencontre lors de son voyage vers la cité d’Oz pour voir le magicien d’Oz afin qu’elle puisse revenir à son pays natal, c’est-à-dire le Kansas. Tout d’abord, elle fait la rencontre de l’épouvantail qui, interprétant l’image du fermier qui doute de lui-même et souffre d’un complexe d’infériorité[16], décide d’accompagner Dorothée dans sa quête identitaire afin de rencontrer le magicien pour obtenir une cervelle. Ensuite, Dorothée et l’épouvantail font connaissance avec le bûcheron de fer blanc qui représente le fantasme d’un corps qui a été fabriqué. [17] Il décide également d’accompagner ses deux nouveaux amis jusqu’à la cité d’Oz pour obtenir du magicien un cœur. Et puis, finalement, le groupe fait face à un lion poltron qui aimerait bien avoir du courage puisqu’il ne représente pas la force tels les autres lions. Ainsi, l’adaptation cinématographique de Fleming, par l’intermédiaire du voyage, est une acquisition d’une prise de conscience de ce que l’on possède, prise de conscience de soi ainsi qu’une prise de conscience du « there is nothing like home »; « on est bien que chez soi ».[18] Dorothée réalise sa maturité à travers ses changements psychologiques grâce à la morale du film qui, à son retour au Kansas, acceptera la vie qu’elle y mène.

Dorothée, une jeune adolescente

Image tiré du film Le Magicien d'Oz de Victor Fleming
Considèrant que Dorothée a déjà traversé le passage de l’enfance, elle est présentement dans la phase de l’adolescence comme le laisse pressentir son mécontentement envers sa tante Em et son oncle Henry ainsi que son envie de fuir vers un endroit au-delà de l’arc-en-ciel[19]: « Une adolescente qui va bientôt devoir affronter le monde des adultes aspire à un retour vers le monde simple de l’enfance, mais accepte finalement les exigences de la maturité. »[20] Le film de Fleming suggère que les adolescents possèdent une nostalgie d’un monde enfantin sans complication apparente. Le fort désir de Dorothée de revenir chez elle par le chemin de briques jaunes participe ainsi au thème des attraits de la maison familiale.

Peter Pan, l’enfant qui ne grandit pas


Le pays de l’imaginaire

Le pays de l’imaginaire est un refuge pour Peter Pan. L’île est habitée par des fées, des sirènes, des Indiens; les Peaux-Rouges, ainsi que des pirates, dont le pire ennemi de Peter, le capitaine Crochet. Il s’agit d’un endroit dépendant de Peter. S’il s’aventure ailleurs dans le vrai monde, le pays des merveilles s’obscurcit, les fleurs fanent, les fées s’endorment, les enfants perdus sont véritablement perdus, laissant le champ libre aux pirates de faire un véritable massacre.[21] Le pays de l’imaginaire est un lieu de délices et de frénésies pour le protagoniste où l’aventure est primordiale. Toutefois, la peur, l’angoisse, la mort et la violence règnent sur cette île. On tue pour se défendre; on joue du couteau, on abat de flèches, on jette les gens à la mer, on tente d’empoisonner, etc. [22] Cette île est une représentation du monde adulte.

 Malgré son essence magique, le pays de l’imaginaire est un lieu d’exil pour Peter Pan. Le jour de sa naissance, lorsque ses parents évoquent son avenir prochain, celui de devenir un homme, il  s’enfuit en abandonnant ses parents: « J’ai entendu mes parents parler de ce qui m’attendait quand je serais un homme, expliqua Peter à voix basse. (On le sentait très agité maintenant). Je ne veux jamais devenir un homme, s’écria-t-il avec véhémence. Je veux toujours rester un petit garçon et m’amuser. C’est pour cela que je me suis sauvé du parc de Kensington, et j’y ai vécu longtemps parmi les fées. »[23] Cependant, un an après sa fuite, Peter retourne à son lieu de naissance et remarque que la fenêtre de sa chambre est barricadée. À travers la fenêtre, un autre enfant occupe sa place dans son propre berceau.[24]  Fou de jalousie, c’est à ce moment que Peter refuse le passage de l’enfance vers l’âge adulte pour toujours en s’exilant au pays de l’imaginaire. Ainsi, sans mère pour lui imposer le passage de l’enfance à l’âge adulte, Peter Pan refuse de devenir adulte. 

La figure de la mère

Malgré sa méfiance envers la mère, Peter tente désespérément de trouver chez le sexe opposé une image maternelle et protectrice qui le sécuriserait comme une mère sécurise son enfant. Lorsque Wendy raconte à Peter la fin du conte de Cendrillon et affirme qu’elle connait plusieurs histoires, Peter se réjouit et tente d’enlever Wendy de la maison familiale pour qu’elle raconte des histoires aux enfants perdus du pays de l’imaginaire. Car, pour exister et en tant que mythe, Peter doit constamment s’échapper de son monde imaginaire afin de soustraire, pendant un certain temps, une petite fille de sa famille. Ainsi, ce sont les femmes qui permettent à Peter Pan de vivre, qui permettent aux enfants de devenir grands ainsi que de conserver une part de leur enfance.[25]


Un éternel enfant

James M. Barrie
En refusant le passage, Peter s’oblige à rester un éternel enfant dans sa taille d’enfant. D’ailleurs, il est le seul enfant qui ne grandit pas alors que, pour Barrie, l’enfance ne dure que deux ans: « Tous les enfants, hormis un seul, grandissent. Ils savent très tôt qu’ils doivent grandir. Voici comment Wendy l’apprit à son tour : elle avait deux ans et cueillait des fleurs dans un jardin; elle en cueillit une autre encore et courut l’offrir à sa mère. Elle devait être bien adorable en cet instant, car Mme Darling, portant la main à son cœur, s’écria : “Si tu pouvais rester toujours ainsi!” Elle n’en dit pas plus long, mais dorénavant Wendy sut qu’il lui faudrait grandir. Dès qu’on a deux ans, on n’y échappe pas, on sait. Deux est le commencement de la fin. » [26] Peter Pan se représente comme étant la jeunesse éternelle. Ainsi, en désirant rester un jeune enfant, Peter se retrouve prisonnier d’une enfance fantasmée et piégée dans son monde fait des souvenirs littéraires de son créateur.[27]

          C’est ainsi que Peter Pan refuse le passage de l’enfance à l’âge adulte et qu’il restera un petit garçon qui ne souhaite que s’amuser comme Barrie cherchait montrer chez l’enfant lecteur.
Comparaison des trois œuvres étudiées

Le monde imaginaire

Les protagonistes dans les œuvres étudiées s’aventurent chacun dans un monde imaginaire. Cependant, ils ne sont pas représentés ni conçus de la même façon. Tout d’abord, Alice et Dorothée tirent leur monde imaginaire de la conception d’un rêve, contrairement à Peter Pan. Alice, lors d’un après-midi à s’ennuyer auprès de sa sœur, tombe endormie et court après un lapin blanc. Dorothée, cherchant une cachette, s’enferme dans sa maison et, en attendant le calme de la tempête, s’endort pendant que la tornade s’abat sur tout le Kansas. Peter Pan, quant à lui, voyage d’un monde à l’autre, autrement dit le Royaume-Uni, le monde réel, le monde des adultes. Alice et Dorothée ne cherchent pas à fuir la réalité ni la transition vers l’âge adulte. Car, une fois dans le monde imaginé, Alice et Dorothée ne souhaitent qu’une chose, rentrer à la maison. Le décor du monde imaginaire est un élément important de comparaison. Le pays des merveilles est ce que nous sommes.[28] Le pays d’Oz est ce que nous souhaiterions et aimerions être. Le pays de l’imaginaire est un monde d’adulte, sanglant et violent, où ce sont les enfants perdus qui en possèdent le contrôle. Contrairement à celui-ci, le pays des merveilles est froid et insécurisant alors qu’Oz est coloré et accueillant même si Dorothée s’y sent perdue. La raison de la conception de ces mondes imaginés pour les trois protagonistes est qu’à travers ceux-ci, ils cherchent un endroit où ils peuvent fuir leurs responsabilités pour pouvoir prendre conscience de l’enjeu du monde réel. Enfin, Alice et Dorothée sont les seules à traverser le passage de l’enfance vers l’âge adulte tandis que Peter Pan choisit de rester à la première phase de la vie humaine, l’enfance. 

Les transformations physiques et psychologiques

Alice est la seule protagoniste à subir des changements physiques. Plusieurs fois, elle est contrainte à grandir et à se faire attaquer par un pigeon « […], un gros pigeon s’était jeté en plein sur son visage, et la frappait violemment de ses ailes. “Serpent!”  Cria le Pigeon. »[29] ou à rapetisser et à se noyer dans ses larmes « « Comme je regrette d’avoir tant pleuré! » s’exclama-t-elle, tout en nageant pour essayer de se tirer de là. « Je suppose que, en punition, je vais me noyer dans mes propres larmes! […] ». »[30] Par ses nombreux changements physiques, Alice subie des conséquences peu importe le choix qu’elle décide de prendre, autrement dit le choix de grandir ou de rapetisser. Peter Pan, en refusant le passage de l’enfance vers l’âge adulte, reste dans sa taille d’enfant, jeune et lisse, et possède encore toutes ses dents de lait : « Mais ce qu’il y avait de plus adorable en lui, c’étaient ses dents de lait qu’il avait au grand complet. »[31]  Il n’est pas influencé par des changements physiques ou psychologiques puisqu’il est résigné envers tous changements qui pourraient le rendre à l’âge adulte. Son choix est définitif, il reste un enfant. Dorothée, elle, suit le chemin de briques jaunes en s’interrogeant sur sa conscience ainsi que la conscience des autres, ce qui se termine par une morale, celle du « there is nothing like home ». En parcourant le pays d’Oz, elle se rend compte qu’au Kansas, elle y reçoit de l’amour et qu’elle y possède des amis qui seront toujours présents pour elle, ce qui la rassure à passer au travers de la transition vers l’âge adulte. 

Schéma actantiel

            Les personnages principaux, Alice, Dorothée et Peter, sont les héros des mondes imaginaires. Cependant, ils ne possèdent pas tous la même quête ni le même objectif. Alice et Dorothée voyagent à travers le monde imaginaire afin de retourner chez soi tandis que Peter s’installe dans le pays de l’imaginaire afin de s’évader du monde réel, dans son cas le Royaume-Uni, et de ces responsabilités. Dorothée et Peter sont confrontés à un opposant, la vieille sorcière qui cherche à obtenir de Dorothée les chaussures de rubis et le capitaine Crochet qui veut éliminer Peter Pan et prendre possession du monde de l’imaginaire, qui s’oppose dans la quête de ces protagonistes alors que pour Alice, il n’y a pas d’opposants. Elle n’obtient également aucune aide pour se rendre jusqu’à chez elle alors que Dorothée est entourée de nouveaux amis, l’épouvantail, le bûcheron de fer-blanc et le lion poltron, qui l’aident à se rendre jusqu’à la cité de l’émeraude pour y rencontrer le magicien d’Oz. Peter Pan a également des adjuvants qui l’aident à faire face au capitaine Crochet. Il s’agit des enfants perdus qui se sont retrouvés sans mère et qui tiennent compagnie à Peter ainsi que la fée Clochette qui, selon son humeur, soutient Peter dans sa quête. Le destinateur de ces trois œuvres est le même. Il s’agit des auteurs qui veulent transmettre un message à travers leur personnage principal. Dans le cas de Alice au pays des merveilles, Lewis transmet à ses lecteurs qu’il y a deux choix possibles, rester enfant ou rester adulte. Dans le film Le Magicien d’Oz, Fleming propose une morale à ses spectateurs, celle où nous sommes toujours bien que chez soi avec les personnes qu’on aime. Pour Peter Pan, Barrie transpose à travers son personnage qu’on peut rester un éternel enfant et que ce choix est possible puisqu’il se considère encore comme un enfant. Enfin, le destinataire est le même pour ces trois œuvres. Elles ont toutes été rédigées pour les enfants, toutefois, Alice au pays des merveilles est perçue davantage comme une œuvre adulte plutôt de d’une œuvre pour les enfants.

Image tirée du film Le Magicien d'Oz de Victor Fleming
            En conclusion, cette analyse des trois œuvres étudiées, Alice au pays des merveilles, Le Magicien d’Oz et Peter Pan, a montré que le passage de l’enfance vers l’âge adulte est illustré par la conception d’un monde imaginaire; le pays des merveilles pour Alice, le pays d’Oz pour Dorothée et le pays de l’imaginaire, aussi nommé le pays de nulle part, pour Peter Pan par les divers mondes imaginaires et les transformations physiques et psychologiques sous les aspects de l’étude de la narration sur le thème principal des trois œuvres, l’adolescence. 

            D’ailleurs, le monde imaginaire est désormais une représentation particulière de l’enfant ainsi que la littérature jeunesse. Dans l’œuvre Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry, il y a également un lieu de réconfort qui est la planète du Petit Prince. 

            Alice au pays des merveilles et Peter Pan sont des œuvres où la psychanalyse aurait pu être un choix d’analyse pour ce travail. Il existe deux syndromes liés à ces œuvres; le syndrome d’Alice au pays des merveilles et le syndrome de Peter Pan. Ces deux maladies joignent les protagonistes de l’histoire, l’un sur des hallucinations physiques et l’autre par le refus d’être un homme qui cherche en chaque femme une figure potentielle d’une mère.


Médiagraphie

Alice au pays des merveilles

v  Carroll, Lewis, Alice au pays des merveilles, Ce qu’Alice trouva de l’autre côté du miroir, Paris, Éditions Gallimard, collection Folio classique, 1994, 374 p.

v  Karlsson, Jenny, Alice’s Vacillation between Childhood and Adolescence in Lewis Carroll’s Alice’s adventures in Wonderland, Université de Karlstads, Suède, [s.d.], 15 p, [en ligne], [format PDF] (site consulté sur Google le 28 janvier 2013).

Le Magicien d’Oz

v  Baum, L. Frank, Le Magicien d’Oz, Paris, Éditions Librio, 2003, 125 p.

v  Bordwell, David, Thompson, Kristin, L’art du film une introduction, Bruxelle, Éditions De Boeck Université, 2000, p. 93, 96-100, 103, 104, 105, 108, 110-115, 119, 129, 139, 216, 227, 322, 380, 389.

v  Fleming, Victor, Le Magicien d’Oz (The Wizard of Oz), États-Unis, 1939, 89 minutes.

v  Montandon, Alain, Du récit merveilleux ou L’ailleurs de l’enfance, Paris, Éditions Imago, 2001, p. 107-144.

Peter Pan

v  Barrie, James M., Peter Pan, Paris, Éditions Librio, 1982, 140 p.

v  Cani, Isabelle, Chabrol Gagne, Nelly, d’Humières, Catherine, Devenir adulte et rester enfant? : Relire les productions pour la jeunesse, Paris, Éditions PU Blaise Pascal, 2008, p. 177- 188 et p. 309-319.

v  Chassagnol, Monique, Peter Pan, Figure mythique, Paris, Éditions Autrement, collection « Hors collection », 2010, p. 6-11, 47-81.

L’adolescence
v  Csikszentmihalyi, Mihalyi, « Adolescence », Encyclopoedia Universalis, Universalis, [en ligne], [http://www.universalis.fr/encyclopedie/adolescence/] (consulté le 11 février 2013).

v  Cani, Isabelle, Chabrol Gagne, Nelly, d’Humières, Catherine, Devenir adulte et rester enfant? : Relire les productions pour la jeunesse, Paris, Éditions Pu Blaise Pascal, 2008, p. 7-26 et p. 29-40.


[1] I. Cani, N. Chabrol Gagne et C. d’Humières, Devenir adulte et rester enfant? : Relire les productions pour la jeunesse, p. 8.
[2] Loc. cit.
[3] Ibid., p. 14.
[4] J. Karlsson, Alice’s Vacillation between Childhood and Adolescence in Lewis Carroll’s Alice’s adventures in Wonderland, p. 1.
[5] Ibid., p. 2.
[6] I. Cani, N. Chabrol Gagne, C.  d’Humières,  Devenir adulte et rester enfant? : Relire les productions pour la jeunesse, p. 178.
[7] Loc. cit.
[8] Ibid., p. 10.
[9] M. Csikszentmihalyi, « Adolescence », p. 2.
[10] L. Carroll, Alice au pays des merveilles, p. 94.
[11] J. Karlsson, Alice’s Vacillation between Childhood and Adolescence in Lewis Carroll’s Alice’s adventures in Wonderland, p. 3.
[12] L. Carroll, Alice au pays des merveilles, p. 44.
[13] I. Cani, N. Chabrol Gagne et C. d’Humières, Devenir adulte et rester enfant? : Relire les productions pour la jeunesse, p. 8.
[14] A. Montandon, Du récit merveilleux ou L’ailleurs de l’enfance, p. 108.
[15] D. Bordwell,  K. Thompson, L’art du film une introduction, p. 97.
[16] A. Montandon, Du récit merveilleux ou L’ailleurs de l’enfance, p. 111.
[17] Ibid., p. 119.
[18] Ibid., p. 122.
[19] D. Bordwell,  K. Thompson, L’art du film une introduction, p. 103.
[20] Loc. cit.
[21] M. Chassagnol, Peter Pan, Figure mythique, p.7.
[22] I. Cani, N. Chabrol Gagne et C. d’Humières, Devenir adulte et rester enfant? : Relire les productions pour la jeunesse, p. 179.
[23] J. M. Barrie, Peter Pan, p. 25.
[24] M. Chassagnol, Peter Pan, Figure mythique, p. 47.
[25] I. Cani, N. Chabrol Gagne, C.  d’Humières,  Devenir adulte et rester enfant? : Relire les productions pour la jeunesse, p. 188.
[26] J. M. Barrie, Peter Pan, p.5.
[27] I. Cani, N. Chabrol Gagne, C.  d’Humières,  Devenir adulte et rester enfant? : Relire les productions pour la jeunesse, p. 188.
[28] A. Montandon, Du récit merveilleux ou L’ailleurs de l’enfance, p. 108.
[29] L. Carroll, Alice au pays des merveilles, p. 91.
[30] Ibid., p. 57.
[31] J. M. Barrie, Peter Pan, p.12